1 juin 2018

Problèmes pour les gens sans problèmes

Extrait du livre Problèmes pour les gens sans problèmes de René Mayer (NDLR : disponible à la médiathèque de Châteaudun) :

(...) Comme je connais déjà la plupart des « griefs » à l'encontre des problèmes de mat pour les avoir entendus maintes fois je tiens à vous les énumérer d'emblée :

a) les problèmes sont de pures élucubrations créées par des compositeurs spécialisés et n'ont aucune valeur pratique pour un joueur de tournois;

b) ils présentent invariablement des situations confuses et peu orthodoxes dans lesquelles un grand déséquilibre matériel se combine avec une disposition des pièces des plus étranges;

c) ils n'offrent pas la tension habituelle de la lutte échiquéenne : quand une position est gagnante ou écrasante, elle cesse de m'intéresser, et peu importe de savoir si je peux parvenir au mat en deux, trois, quatre coups ou plus;

d) quand je suis face à l'échiquier, j'aime répondre à la question : « que puis-je faire dans la position de ma partie ? » et non pas « comment puis-je résoudre une énigme posée par un compositeur de circonstance ? » 

N'est-ce pas là un excellent résumé de vos idées concernant lesdits problèmes? Si oui , il est donc grand temps  de vous faire  comprendre que cette attitude, résultat de préjugés, ne permet pas d'approcher un univers qui présente une grande  dose d'intérêt et de fantaisie, même pour un joueur « pratique ».

Voici donc quelques-unes de ses vertus, qu'il ne faut  pas supprimer d'un trait :

a) résoudre un problème, c'est avant tout faire face à un défi et élucider une énigme. Cette recherche favorise grandement le développement de l'attention et l'application d'une méthode de recherche logique. Qui plus est, la principale mission d'un joueur d'échecs est de ne pas céder à l'« échec », en relevant tout défi, quel qu'il soit;

b) le fait de trouver la clé cachée, souvent aussi spectaculaire qu'inespérée, vous permettra d'accroître votre sensibilité esthétique et votre capacité de contemplation à une époque où toutes deux paraissent secondaires. Finalement cette quête n'aura que des effets positifs sur votre imagination, en tant que simple joueur, membre assidu d'un club ou praticien habitué des tournois;

c) les problèmes ont une utilité énorme, bien que vous ne soyez pas disposé à l'admettre :  ils développent la capacité de « visualiser l'échiquier », c'est à dire la captation visuelle de thèmes et manoeuvres géométriques qui s'avèrent essentiels dans la pratique du noble jeu. Ils vous apprennent à ne voir que «ce qui existe réellement» et donc à vous méfier des apparences et des mirages;

d) enfin, ces problèmes peuvent être résolus par des personnes  sachant uniquement bouger les pièces, puisqu'ils ne font pas intervenir les complexes concepts stratégiques et tactiques, présents dans toute partie sérieuse. Votre propre enfant pourra même vous aider à les résoudre !

Les Blancs jouent et font mat en 2 coups
W.A. Shinkman (1902) 
Voilà le genre de petits problèmes que les maîtres yougoslaves utilisaient pour entrainer les membres de l'équipe junior et évaluer sur-le-champ leur capacité visuelle et géométrique sur l'échiquier. (...)

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